La Cour d'appel du Tribunal pénal fédéral acquitte, en vertu du principe in dubio pro reo, les trois appelants reconnus coupables en première instance des faits de blanchiment d’argent prétendument commis en Suisse entre 2005 et 2014 en lien avec un trafic de stupéfiants de la mafia colombienne de la drogue. D’une part, l’infraction préalable était déjà partiellement prescrite au moment des faits. D’autre part, il existe des doutes quant à l’origine des fonds introduits dans le système financier suisse et provenant de l’infraction préalable reprochée. Le lien de causalité entre l’infraction préalable (trafic de stupéfiants) et l’infraction principale (blanchiment d’argent) n’est ainsi pas prouvé. Le prévenu principal a admis la condamnation pour faux dans les titres prononcée à son encontre dans le cadre d’un chef d’accusation secondaire.
L’arrêt CA.2022.7 concerne les appels interjetés par les trois prévenus condamnés en première instance contre le jugement de la Cour des affaires pénales SK.2020.13 du 13 octobre 2021. L’accusation reproche au prévenu principal d’avoir blanchi en Suisse, entre décembre 2005 et juin 2014 au moins, environ 10 millions d’euros du produit de stupéfiants provenant de la mafia colombienne de la drogue. L’introduction des fonds dans le système financier suisse aurait eu lieu via des banques, en partie par le biais de différentes sociétés, par des versements en espèces, des compensations et des chèques ainsi qu’au moyen de plusieurs transports d’argent liquide d’Espagne vers la Suisse. Il lui est en outre reproché d’avoir dissimulé aux autorités 3,7 millions d’euros en liquide (faisant partie de la somme globale précitée) trouvés dans sa villa de Madrid lors d’une perquisition des enquêteurs espagnols. Le prévenu principal, un Suisse d’origine colombienne, avait été condamné pour des crimes de blanchiment d’argent liés aux stupéfiants par un tribunal espagnol en mai 2009. Il a passé environ 4 mois et demi en détention provisoire en Suisse après son arrestation en 2014. Les deux co-prévenus sont les gestionnaires de fortune ayant travaillé en Suisse pour le prévenu principal. Ils sont accusés de complicité dans le sens d’une violation des obligations de communication selon la législation suisse en matière de prévention contre le blanchiment d’argent. En particulier, ils auraient dû connaître l’origine criminelle des fonds versés ou du moins avoir des soupçons en raison du montant des sommes ainsi que d’autres circonstances.
L’autorité de première instance a considéré que le chef d’accusation était en principe établi, à l’exception d’un classement de la procédure concernant tous les actes de blanchiment d’argent commis avant le 13 octobre 2006 en raison de la prescription et de quelques acquittements concernant le deuxième co-prévenu. Elle a condamné le prévenu principal pour blanchiment d’argent et faux dans les titres à une peine privative de liberté avec sursis partiel de 32 mois (dont 18 mois avec sursis) ainsi qu’à une peine pécuniaire avec sursis de 150 jours-amende à CHF 360.-. Les deux co-prévenus ont été condamnés en conséquence pour blanchiment d’argent et ont été sanctionnés par une peine privative de liberté avec sursis de 24 mois et une peine pécuniaire avec sursis de 100 jours-amende à CHF 190.- et, respectivement, par une peine privative de liberté avec sursis de 18 mois et une peine pécuniaire avec sursis de 100 jours-amende à CHF 200.-.
La Cour d’appel considère en particulier, outre la violation du principe d’accusation (description insuffisamment claire de l’infraction préalable dans l’acte d’accusation), qu’il existe un lien de causalité insuffisant entre l’infraction préalable et l’infraction principale. D’une part, l’infraction préalable décrite dans l’acte d’accusation s’avère prescrite selon le droit espagnol à partir du 8 mai 2009, de sorte que les actes de blanchiment d’argent prétendument commis par la suite manquent de l’élément constitutif correspondant. Bien que le prévenu principal n’ait pas été en mesure de rendre crédible l’origine licite de ses avoirs, la Cour d’appel a de sérieux doutes quant à l’origine de ceux-ci, à savoir le produit de la vente de stupéfiants réalisée en Espagne par la mafia colombienne de la drogue entre 1996 et 1999. En effet, jusqu’à l’introduction de l’euro en 2002, la monnaie en vigueur en Espagne était la peseta (PTS), alors que toutes les liquidités apportées en Suisse et retrouvées en Espagne étaient des billets en euros, en majorité des billets de 50. Un prétendu changement d’argent liquide en pesetas, d’une valeur de 10 millions d’euros, présumé typique du trafic de drogue, en billets d’euros en petites coupures, n’est ni expliqué ou rendu plausible par l’accusation, ni compréhensible au vu de l’ensemble des circonstances. La Cour d’appel estime au contraire qu’il est plus probable que les sommes d’argent liquide en euros apportées en Suisse par le prévenu principal et trouvées en Espagne, dont l’origine légale n’est pas prouvée, n’ont été obtenues par le prévenu principal qu’après 2002. Elle a donc de sérieux doutes quant au fait que le prévenu principal ait commis les infractions reprochées avant 2002, soit entre 1996 et 1999. Un trafic de stupéfiants prétendument effectué après 1999 ou 2002 ne ressort toutefois pas du jugement espagnol et ne serait pas non plus couvert par l’accusation. Par conséquent, le lien de causalité entre l’infraction préalable et l’infraction principale fait défaut. C’est pourquoi les trois prévenus sont acquittés de tous les chefs d’accusation de blanchiment d’argent conformément au principe in dubio pro reo. Le prévenu principal n’a pas contesté la condamnation pour faux dans les titres. Une peine pécuniaire avec sursis est prononcée à cet égard.
Les parties peuvent faire appel de l’arrêt de la Cour d’appel, qui n’est pas encore définitif, en déposant un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral après avoir reçu l’intégralité des motifs écrits. Les prévenus bénéficient toujours de la présomption d’innocence.
Annexe: Dispositif CA.2022.7
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